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Carlos et Jhenry, mineurs sur tous les fronts

Carlos et Jhenry travaillent à la mine de Potosí, en Bolivie, depuis qu’ils ont 14 ans. Tous deux fils d’un père absent, ils doivent subvenir aux besoins de leur famille.  Sur les 15 000 mineurs de Potosí, plusieurs centaines seraient des enfants. Si Jhenry et Carlos ne  parviennent pas à s’affranchir de ce travail épuisant et risqué, cela ne les empêche pas de rêver. 

Carlos, 17 ans, s’apprête à s’équiper. Il est 8 heures. Dans une heure, ce jeune homme laissera tomber le jogging bleu électrique pour le bleu de travail, et sa casquette de gangster pour le casque de protection rehaussé d’une lampe torche. Le « Cerro Rico », montagne flamboyante dominant la ville minière de Potosí en Bolivie, est transpercé de quelque 180 mines d’argent et autres minerais. Malgré l’appauvrissement  de la montagne, les mineurs continuent de creuser, avec en tête l’image d’une Potosí autrefois centre économique du monde, grâce aux quantités d’argents colossales extraites de la mine. Au XVIe siècle, c’est ici qu’était concentrée la fortune de l’empire espagnol.

Carlos, 17 ans, prés de la mine Santa Nicolesita, son lieu de travail depuis trois ans (© Jérôme Decoster).
Carlos, 17 ans, près de la mine Santa Nicolesita, son lieu de travail depuis trois ans (© Jérôme Decoster).

« Je travaille à la mine Santa Nicolasita. J’ai choisi celle-là parce qu’elle est moins dangereuse que les autres », avance Carlos. Voilà trois ans que l’adolescent pénètre cinq jours par semaine dans ce couloir noir pour pousser, le dos courbé, des chariots remplis de pierres, ou pour perforer la roche au marteau-piqueur.  « Quelle que soit la tâche, ça m’est égal », lance-t-il dans un haussement d’épaules.

Les galeries sombres entre frères

« Mon père nous a abandonnés quand j’étais petit. Alors, à 14 ans, je me suis mis à travailler pour aider ma famille », raconte calmement l’adolescent.  Depuis 2014, la loi bolivienne  autorise à travailler dès l’âge de 10 ans. Certains métiers restent cependant interdits, dont celui de mineur. Il suffit pourtant de se balader sur la montagne pour rencontrer des visages enfantins aux esprits adultes. A 17 ans, Carlos a déjà suffisamment travaillé pour être un véritable professionnel. Aujourd’hui, il veille sur son frère de 14 ans avec qui il travaille en binôme. A la mine, le travail s’effectue toujours en équipe, et le plus souvent en famille, à grand renfort de feuilles de coca mastiquées toute la journée pour tuer la faim et la fatigue.

Sur le Cerro Rico, les mineurs poussent les charriots pour récolter les pierres dans la mine (© Jérôme Decoster).
Sur le Cerro Rico, les mineurs poussent les chariots pour récolter les pierres dans la mine (© Jérôme Decoster).

« Si on est blessé, mon chef sera responsable, explique-t-il. Mais ici, ça marche comme ça. Tu vas voir le chef pour lui demander de travailler parce que tu as besoin d’argent. Et il t’accepte, même si tu as dix ans ». Question d’entraide et d’habitude. Les deux frères continuent d’étudier quand ils ne travaillent pas. « Ça me rend fier de faire les deux », s’enorgueillit le jeune Carlos.

Jhenry, 21 ans, travaille lui aussi avec son petit frère Pascual, 14 ans, qui a laissé tomber l’école il y a deux ans. « Depuis qu’on travaille ensemble, je veille sur lui, lui explique comment faire », lance Jhenry, tête baissée et voix éteinte. Entre les quatre murs de béton d’une chambre de 10 mètres carrés, son bébé de 9 mois emmitouflé dans une couverture, Jhenry raconte timidement ses années de labeurs et ses rêves de changement. A l’instar de Carlos, il a dû assurer la survie de la fratrie, dès ses 14 ans, quand son père est décédé. « Une maladie pulmonaire », indique-t-il, la main sur son thorax. Beaucoup de mineurs ne résistent pas aux gaz toxiques libérés par la poudre de dynamite, et meurent de la silicose.

Jhenry et sa petite sœur dans l'étroite pièce où le jeune mineur vit depuis quelques jours (© Jérôme Decoster).
Jhenry et sa petite sœur dans l’étroite pièce où le jeune mineur vit depuis quelques jours (© Jérôme Decoster).

Quand les deux pères de famille ont disparu des vies des jeunes mineurs, les mamans n’ont pas pu assurer la relève auprès de la grande fratrie. Olga, la mère de Carlos, était alors « guardamina ». Son objectif : éviter les vols des outils de travaux des mineurs en surveillant l’entrée de la mine. Certaines coopératives minières ne rémunérant pas ce travail, Olga devait se contenter de quelques maigres bolivianos acquis en récupérant un peu d’argent sur des pierres aux piteux reflets, jetées dehors. « Ma mère voulait surtout que j’étudie mais on ne s’en sortait pas », se rappelle Carlos. « Au début, ça ne me dérangeait pas. J’étais curieux », se rappelle-t-il. Aujourd’hui, il gagne entre 1 000 et 2 000 bolivianos par mois – entre 130 et 260 euros – en fonction de la quantité et la qualité des minerais qu’il trouve. Un salaire beaucoup moins important que celui des adultes plus expérimentés qui peuvent travailler plus de huit heures par jour.

« Jusqu’à 100 mètres de profondeur, seulement à l’aide d’une corde »

Très vite, l’adolescent déchante. « Aujourd’hui, ça ne me plait plus du tout. Si je pouvais, je travaillerais moins pour étudier plus. » En ce moment, Carlos travaille à la mine de 9 heures à midi, puis va a l’école jusqu’à 18 heures avant de retourner travailler jusqu’à 23 heures. Un rythme de vie presque normal pour les enfants de Potosí. Dans sa classe, plus de la moitié des élèves travaillent sur le Cerro. « C’est fatiguant et très dangereux la mine », explique-t-il en mimant les éboulements de pierres qu’il a l’habitude de provoquer pour ne pas se faire surprendre et se blesser. « Parfois, je dois descendre dans des galeries jusqu’à 100 mètres de profondeur, seulement à l’aide d’une corde », ajoute Jhenry, le visage fermé.

Un mineur creuse la roche manuellement pour tenter de trouver de l'argent (© Jérôme Decoster).
Un mineur nettoie le terrain pour passer avec le chariot et tenter de trouver de l’argent plus loin dans la galerie (© Jérôme Decoster).

Les deux jeunes hommes ont chacun connu des mineurs décédés des suites d’un accident dans les profondeurs de la mine. « Ils avaient 18, 24 et 28 ans », raconte tristement Carlos. Le rêve des garçons : se libérer des entrailles du Cerro et trouver un travail décent. « Je voudrais devenir ingénieur agronome. Travailler en plein air, avec les plantes et les animaux », glisse Jhenry, un demi-sourire aux lèvres. « Mais pour changer de vie, il me faut de l’argent. Pour l’instant, je n’arrive pas à économiser ». Son souhait le plus cher reste que son fils parvienne à se libérer du schéma familial. « Je veux qu’il étudie pour avoir un bon travail ».

Carlos a quant à lui des idées plein la tête : « devenir ingénieur pétrolier, ouvrir un petit commerce, être leader politique… » Ce dernier rêve, il le cultive « depuis cinq ans », affirme-t-il en gigotant sur le muret de pierres. Parmi les problèmes les plus flagrants de la Bolivie, l’adolescent évoque « ces filles qui tombent enceintes très jeunes alors qu’elles ne sont pas prêtes », « la pauvreté », « l’excès d’importations ».  Mais il ne parle pas de la loi sur le travail  à partir de 10 ans qui a été vivement condamnée par l’Organisation internationale du travail… « Je sais que je mène une vie d’adulte. Mais je suis quand même heureux ».

Aurélie Bacheley et Jérôme Decoster

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