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En Amérique latine, des grossesses pleines de tabous

En Colombie, en Bolivie, au Pérou ou ailleurs en Amérique latine, on ne cesse de croiser des silhouettes aux jambes frêles et au ventre rond. A 14 ou 15 ans, ces jeunes filles rentrent brutalement dans le monde adulte. Un énorme tabou autour de la sexualité en est souvent la cause. 

« Aurélie, je peux te poser une question personnelle ? » Sourire gêné au bord des lèvres. « Tu fais comment toi, pour te protéger ? » Félix, Bolivien de 29 ans, est guide de montagne. Il passe ses journées à se vider la tête au grand air mais le soir, les soucis du quotidien ressurgissent. La question tabou est finalement lancée à moi, une touriste. En Bolivie comme ailleurs en Amérique latine, ce n’est pas le genre de discussion qui vient facilement sur la table, et encore moins entre les sexes opposés.

La pire des piqûres

Surprise mais ravie que Félix se confie, j’évoque la pilule. Un blanc. Il me regarde le front plissé. «Et ça marche comment déjà ? » J’explique le fonctionnement qui exige d’être rigoureux et Félix me coupe de temps en temps pour demander des précisions. « Pourquoi la prendre tous les jours à la même heure ? Pourquoi tu arrêtes sept jours ? Si tu l’oublies, ça fait quoi ? » Je me revois quelques années plus tôt, dans le cabinet de mon médecin aux côtés de ma mère. Je me rends compte qu’on n’a pas tous la chance d’aborder le sujet de la sexualité sans complexe. Félix récapitule le processus, je corrige deux-trois choses. Le lendemain, il en parlera à sa femme, paniquée depuis qu’une de ses amies a fini à l’hôpital à la suite d’une piqûre dans la hanche soi-disant contraceptive. « La fille n’a pas eu ses règles pendant plusieurs mois. Elle a été ouverte dans le bas du ventre pour libérer tous les caillots de sang qui étaient coincés là, raconte-t-il. Avec ma femme, on ne sait pas quoi faire pour se protéger. »

Aucune éducation sexuelle

Dans la plupart des pays que nous traversons, l’absence totale d’éducation sexuelle au sein du foyer et à l’école a des conséquences désastreuses. « A 14, 15 ans, les filles ont leur premier amour. Elles ne connaissent rien à la vie et sont déjà mamans », regrette Félix. Lui s’estime heureux de n’avoir eu son premier enfant « qu’à 22 ans » quand sa femme en avait 19. Le bébé n’était pas voulu. Le deuxième non plus.

Les locaux qui nous voient intrigués par les filles enceintes derrière les comptoirs de restaurant ou les petites épiceries parlent de ces grossesses précoces, à Jérôme et moi, plus facilement qu’à la maison. Les rêves de vie en ville s’envolent, les études s’arrêtent pour subvenir aux besoins de l’enfant, le petit copain autrefois fou amoureux disparaît subitement. « Souvent, c’est la grand-mère qui se retrouve à élever son petit-fils ou sa petite-fille », souligne Félix.

« Les filles françaises ont leurs règles elles aussi ? »

Pourtant conscients du problème, peu de parents semblent prompts à prévenir leurs propres enfants des dangers des rapports non protégés. Outre les maladies sexuellement transmissibles, l’Organisation mondiale de la santé souligne un risque de décès maternel quatre fois plus élevé parmi les adolescentes de moins de 16 ans que parmi les femmes âgées de 20 à 30 ans en Amérique latine. « Pas facile de parler de « ça » en famille », confie Félix, sans trop parvenir à expliquer pourquoi.

Il y a cette pudeur qui peut barrer la route aux discussions. Mais aussi l’ignorance qui empêche la transmission d’information. Alors qu’en Europe, les enfants apprennent à l’école dès l’âge de 12 ans la mécanique du corps humain, Félix, lui, se rappelle les cours de « sciences naturelles », liés à l’environnement. Point final. Laura, une jeune Française volontaire à Potosi, en Bolivie, constate quotidiennement l’ignorance qui plane au-dessus du sujet sexe. « Un jour, une jeune femme de 20 ans enceinte jusqu’aux dents m’a demandé si les filles françaises avaient elles aussi leurs règles… »

Félix ne cache pas sa surprise quand je lui apprends qu’à l’âge de 14 ans, une femme est venue en classe pour nous sensibiliser, mes camarades et moi, aux dangers des rapports non protégés et donc à l’utilisation de préservatifs, entres autres. Je lui dis qu’en France, cela est juste « normal ». L’anecdote lui fait sortir les yeux de leurs orbites. La première fois que Félix, bientôt 30 ans, a abordé « le sujet », c’était avec son médecin, il y a quelques semaines. Il lui a conseillé d’éviter de faire l’amour avec sa femme pendant les périodes « dangereuses ». A savoir, les périodes de fécondation. Et peu importe si cette méthode, pas fiable à 100 %, ne leur convient pas. Ni Félix, ni sa femme, n’a osé demander une alternative. « Pourquoi ? » Sourire gêné sans réponse.

Aurélie Bacheley

Article à retrouver sur le Huffington Post 

2 réflexions sur “En Amérique latine, des grossesses pleines de tabous

  1. Merci pour cet article qui rappelle à quel point ce sujet essentiel de l’éducation sexuelle, de la connaissance de notre propre corps et des conséquences de nos actes sexuels est encore trop peu abordé à certains endroits du globe. Avec internet et la communication facile, on a l’impression qu’on peut tout savoir facilement…
    Un article pour Causette, ça ! Causette qui sort un « hors-série » sur le clito, une belle idée de cadeau pour Félix et sa femme !

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