Sans guide, sans carte et sans balisage, le trek depuis Hsipaw, au nord-est de Mandalay, ne s’annonçait pas comme les autres. Départ pour une aventure de deux jours dans les montagnes.
Les rues de Hsipaw regorgent de camions, scooters et autres tuk-tuk. Mais dès que nous quittons la route principale, le bruit s’incline face au silence. Un cimetière aux inscriptions chinoises laisse place à un champ de déchets qui ravit les mouches et les chiens errants. Quelques centaines de mètres plus loin se pose une question qui reviendra sans cesse pendant ces deux journées de randonnée : à droite ou à gauche ? Cette fois, on décide d’attendre, de laisser passer un groupe de touristes accompagné d’un guide, et de les suivre à distance. Avant l’intersection suivante, nous profitons de la terre ocre et des paysages boisés, quand les découpeurs de teck ne sont pas encore passés à l’acte.
Autour des champs tout secs pousse un sourire sur les lèvres des habitants des villages alentours. Surtout sur celui des femmes et des enfants. Peut-être les hommes préfèrent-ils ne pas montrer leurs dents couleur rouge sang, ravagées par le bétel.
Les travailleurs du bois, des champs ou de la route nous indiquent, en tendant leur bras, la direction du prochain village. Heureusement, nous arrivons à peu près à les prononcer : Na Loi, Pan Kam et Tan Sent, notre village étape atteint après six heures d’ascension.
« Pas besoin de guide, nous avait prévenu M. Book dans sa vieille et étroite échoppe de Hsipaw, où il vend et échange de vieux bouquins. Si vous débarquez dans le village, quelqu’un vous hébergera et vous nourrira pour seulement 5 000 kyats par personne (environ 3 € 50). » A peine dépassées les deux premières maisons du village, une femme nous propose de nous accueillir chez elle pour… 5 000 kyats. Elle nous montre une petite chambre avec un matelas fin et une grosse couette. Un véritable cocon. Nous essayons de discuter avec notre hôte, mais l’échange se limite à nos prénoms, nos âges et à réclamer une nourriture non épicée. Il faut dire que dans ce village en haut de la montagne, où elle vit depuis environ 35 ans, Idea semble coupée du monde. A l’évocation de notre pays d’origine, la France, son visage se fige un instant puis elle sourit. Elle entend ce mot pour la première fois.
Dans le village, tout le monde nous salue avec curiosité, même si certains préfèrent ne pas être pris en photo. Pendant cette balade au crépuscule, notre hôte nous prépare un repas pantagruélique à base de riz, de légumes et de poulet. La générosité des habitants de ce pays nous impressionne.
Le lendemain midi, dans le village de Nam Hu, on tente de trouver du riz dans la maison d’une famille nombreuse. Malheureusement, nos talents en langue des signes sont limités. Un petit garçon d’une dizaine d’années accomplit la mission confiée par ses parents et nous conduit, avec fierté, devant une autre maison en bois. Après 10 minutes de tentatives d’explication, une femme d’âge mûr nous propose ce qui ressemble à un déjeuner. Assise près de la marmite sur le feu, elle nous observe manger, mi-attendrie, mi-intriguée. Nous restons un peu sur notre faim mais, au moment de lui proposer de la payer, elle refuse. Dans sa maison toute simple, les sacs de riz s’entassent au milieu d’une mini-épicerie. Elle n’a pas l’air de vouloir plus, d’avoir besoin de plus.
Les trois chemins
Au sommet des montagnes, entre deux villages, le chemin se divise en trois. Personne autour pour nous renseigner. On essaie celui du milieu mais après cinq minutes de marche, il ne nous inspire plus. On revient sur nos pas pour retenter notre chance, à droite. Quelques centaines de mètres plus loin, un paysan s’occupe de son champ, en contrebas de la montagne. C’est le moment de demander confirmation. A coups de grands gestes et de cris favorisés par l’écho, on finit par admettre notre erreur. Il faut rebrousser chemin. Nous avons perdu 45 minutes. Seuls, au milieu de cette campagne magnifique, le jeu en vaut bien la chandelle.
Entre buffles et grains de maïs
Sous un soleil de plomb tempéré par une brise bienfaitrice, un éleveur de buffles nous laisse passer. Il doit gérer la crainte que l’on inspire à ses bêtes. D’autres villageois étalent des milliers de grains de maïs blancs et orangés sur leur terrasse. « Hsipaw ? », leur demande-t-on pour retrouver la grande route qui mène à la ville au moment où les jambes, lourdes, accusent le coup des sept heures de marche.
Leurs indications nous mènent, deux kilomètres plus loin, sur le goudron qui relie Mandalay à Hsipaw. L’auto-stop s’invite dans l’aventure, pour une courte durée. La première voiture s’arrête mais le conducteur veut nous faire payer la course. On est de retour en ville. A plusieurs milliers de pas de la montagne.
Jérôme DECOSTER
Simplement génial; merci de nous faire partager cette aventure encore une fois