A 6 088 mètres, il n'y a plus qu'à apprécier (© Jérôme Decoster).

Comment j’ai atteint mon premier sommet à 6 000 mètres

Dans la nuit de mardi 4 à mercredi 5 octobre, je me suis lancé à l’assaut du Huayna Potosi, un sommet près de La Paz, en Bolivie, qui culmine à 6 088 mètres au-dessus du niveau de la mer. Une aventure exceptionnelle, presque irréelle.

Avant de se lancer dans une telle expédition, il faut prendre le temps de s’acclimater deux jours dans des refuges de montagne, à  4 800 mètres et 5 130 m et apprendre les bases de l’alpinisme, crampons vissés et piolet en main. Une fois passée l’initiation de deux heures, il ne reste plus qu’à attendre, attendre longuement le départ fatidique vers le sommet.

Thomas, l'un des sept grimpeurs, en pleine initiation sur le glacier (© Jérôme Decoster)
Thomas, l’un des sept grimpeurs, en pleine initiation sur le glacier (© Jérôme Decoster)

Quelques heures avant le jour J, on se couche à 18 h pour entreprendre l’ascension dès 1 h du matin. L’objectif : arriver tout en haut au lever du Soleil et avoir un panorama dégagé, mais aussi renforcer les conditions de sécurité car les rayons du Soleil ont tendance à effriter la glace. Après avoir dormi seulement 5 heures lors des deux précédentes nuits, je me lance à la conquête de ce sommet andin emmitouflé dans plusieurs couches pour affronter le froid : il peut faire jusqu’à -20 degrés à 6088 mètres.

Le refuge, à 5 130 m d'altitude, à partir duquel on a débuté l'ascension (© Jérôme Decoster).
Le refuge, à 5 130 m d’altitude, à partir duquel on a débuté l’ascension (© Jérôme Decoster).
La vue depuis le même refuge. Le sommet, situé derrière, n'est pas encore visible (© Jérôme Decoster)
La vue depuis le même refuge. Le sommet, situé derrière, n’est pas encore visible (© Jérôme Decoster)

Chaque guide prend en charge un groupe de deux personnes. Pendant les trente premières minutes, il faut grimper des rochers assez raides avec des boots, façon chaussures de ski. Ce n’est pas le pied mais les jambes s’échauffent. Vient alors le moment de chausser les crampons et de débuter la véritable aventure, sur glacier.

A 5 500 mètres, l’air se raréfie

La montagne en impose. Seules les nombreuses petites lampes frontales des autres grimpeurs en contrebas donnent des signes de vie. Quand j’atteins les 5 500 m, mon ventre se noue un peu. Je ne peux plus rien avaler et bois par petites gorgées. L’air se raréfie. Mais 10 minutes plus tard, je ne ressens déjà quasiment plus les effets de l’altitude, si ce n’est mon souffle, bien plus long et bruyant que d’habitude. Un joli mur d’une trentaine de mètres se pointe devant nous. Encordé avec la guide et mon compagnon de route australien, Tom, je me hisse à l’aide du piolet et des crampons. La neige fraîche facilite l’adhérence. Je ressens beaucoup de plaisir dans cet effort intense, et prend conscience de la difficulté du challenge. Une heure et trente minutes de marche lente et abrupte plus tard, Rachel, notre guide, nous laisse le choix entre deux routes. A voir notre réaction positive à l’altitude, elle semble confiante pour prendre le chemin « légèrement plus difficile ». Nous aussi.

Panique à quelques mètres du sommet 

Cette difficulté s’avère beaucoup plus importante que ce que j’imaginais. Rachel cherche son chemin pour éviter les crevasses. Avec Tom, à près de 6 000 m d’altitude, on fatigue après chaque grand pas. On s’aide souvent des genoux pour monter sur la glace. Devant mon nez, je vois soudain poindre un rocher très raide qu’il va bien falloir affronter… Et comme le disait Tom au début de l’ascension, « il n’y a pas pire que de marcher sur de la roche avec des crampons ». Rachel monte en premier pour nous assurer. A défaut de nous rassurer.Je passe cet obstacle, mais ne suis pas sorti d’affaire ! Quelques centaines de mètres plus loin, un nouveau mur. Seulement cette fois il est tout verglacé et rocailleux. Aucune prise pour le piolet que je cherche désespérément à accrocher à la glace. Je glisse sur deux ou trois mètres… Une belle frayeur ! Après plusieurs tentatives, je ne suis plus qu’à 10 m du sommet. Mon cœurs’accroche toujours très bien quand mes jambes et mes bras commencent à tirer sur la corde.

Vue magique au bout de l’effort

Il nous reste encore une dizaine de mètres pour atteindre le sommet. Mais il faut passer de l’autre côté de la corniche. Pour Tom et moi, pas question de repasser les mêmes obstacles dans le sens de la descente. Sauf que là encore, je pêche au niveau technique. Et le verglas ne m’aide pas franchement. « Pourtant, à l’entraînement hier, tu y arrivais très bien », me glisse Rachel, que je sens agacée. Oui, saufqu’aujourd’hui, je ressens la fatigue accumulée après 5 heures de sommeil en trois nuits et 5 heures de marche entre 5 200 et 6 088 mètres d’altitude ! A cette heure-ci, le sommet est si proche, je suis forcé de l’atteindre. Après quinze minutes de galère, j’y suis enfin.

Au sommet, avec en toile de fond un autre géant andin, l'Illimani (© Jérôme Decoster).
Au sommet, avec en toile de fond un autre géant andin, l’Illimani (© Jérôme Decoster).

Les dernières difficultés m’empêchent de profiter à 100 % et de vivre pleinement mon émotion. J’en oublie même de demander à quelqu’un de me prendre en photo. La vue est pourtant à couper le souffle. Sans doute ce que j’ai vu de plus beau dans ma vie. Les premiers rayons du Soleil illuminent au loin les sommets enneigés du Sajama ou de l’Illimani, encore plus élevés que le Huayna Potosi. On surplombe la Cordillère royale et un morceau du lac Titicaca. Situé à 3 800 mètres d’altitude, il parait très bas.

A peine 15 minutes après avoir atteint le sommet, il faut repartir. « Ce n’est pas bon de rester longtemps à cette altitude », explique Rachel. Je retrouve alors de bonnes sensations et dévale la descente. Il me faut un peu plus de deux heures pour refaire le chemin que l’on avait mis environ 5 heures et 30 minutes à monter.Là, je me rends compte de l’effort accompli et jubile.

Dans la descente et toujours encordés (© Jérôme Decoster).
Dans la descente et toujours encordés (© Jérôme Decoster).

C’est difficile de réaliser. J’ai l’impression d’avoir vécu ce moment hors du temps. Je me sens en pleine forme jusqu’à l’arrivée au refuge duquel nous avons débuté l’ascension. Là, j’ai soudainement les pattes coupées et je ne peux plus rien avaler. Certains, plus touchés que moi, pleurent et ont la nausée. Ils retrouvent quand même une couleur normale après avoir viré au vert au sommet. Il faut refaire son sac et subir encore une heure de descente jusqu’au camp de base où nous attend le bus pour La Paz.Mais peu importe, on a atteint le graal.

Jérôme Decoster

12 réflexions sur “Comment j’ai atteint mon premier sommet à 6 000 mètres

  1. Quel bel exploit sportif tu as accompli là !!
    Merci de nous faire partager cette si belle expérience !! On en imagine l’intensité émotionnelle et la prouesse physique d’après ton récit. Bizz

  2. J’imagine Aurélie en train de se dorer la pilule et de manger des bons petits plats locaux pendant ce temps ! lol Bravo Jérôme, un souvenir marquant pour toute ta vie, que tu raconteras aux générations à venir au coin d’une cheminée, avec la même barbe, devenue blanche…

    1. Haha Adèle tu m’as bien fait marrer… T’as raison je raconterai ça en mode vieux briscard « moi je connais le monde les enfants » ! Pour Aurelie elle a fait un trek cette fois mais c’est vrai que c’est le style !

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