Le hameau de Junin compte 280 âmes (© Jérôme Decoster).

La mine de Junín : l’histoire d’une lutte sans fin

Depuis une vingtaine d’années,  Junín lutte contre des projets d’exploitation de cuivre dans sa réserve naturelle, en Equateur. Depuis que le gouvernement de Rafel Correa a mis la main sur ce potentiel trésor en 2011, le petit village perdu dans les montagnes au nord du pays peine à résister mais ne baisse pas les bras.

Sur le lieu de campement des ouvriers de la mine, dans la réserve communautaire de Junín (© Jérôme Decoster).
Sur le lieu de campement des ouvriers de la mine, dans la réserve communautaire de Junín (© Jérôme Decoster).

A plus de 2000 mètres d’altitude, la forêt et les nombreuses espèces animales rares qu’elle abrite dominent le vaste territoire de l’Intag. Les chemins pentus et boueux laissent présager une zone intacte de toute activité humaine. En pleine nuit, seule l’eau des rivières vient rompre le silence. Mais à trois heures de marche du village de  Junín, à l’aube, le chant des colibris qui se réveillent laisse place à un boucan d’enfer. La nature s’incline face aux machines de la compagnie Enami (Entreprise nationale minière), qui perforent la terre à plus de 1 500 mètres de profondeur.

Cette machine perfore le sol à plus de 1500 mètres de profondeur pour trouver du cuivre (© Jérôme Decoster).
Cette machine perfore le sol à plus de 1500 mètres de profondeur pour trouver du cuivre (© Jérôme Decoster).

Les mules remontent des tronçonneuses, les sacs de sable s’entassent pour éviter les éboulements de terre, les gilets orange et les bottes jaunes des ouvriers prennent le pas sur cette montagne à la végétation luxuriante. « On creuse pour chercher quelque chose mais on ne sait pas quoi », lâche difficilement l’un des trois travailleurs matinaux sur le chantier du projet d’exploitation minière Llurimagua. Ce quelque chose, c’est le cuivre verdâtre que l’on peut apercevoir dans certains cours d’eau. Les ouvriers restent de marbre. Défense de s’exprimer sans l’aval de la direction.

Parmi les ouvriers du projet, des habitants de Junín qui ne veulent pas parler de leurs conditions de travail (© Jérôme Decoster).
Parmi les ouvriers du projet, des habitants de Junín qui ne veulent pas parler de leurs conditions de travail (© Jérôme Decoster).

Trois membres de la lutte contre ce projet de mine, appelée La Résistance de la zone de l’Intag, entrent de force sur le territoire de l’entreprise Enami, qui travaille en plein milieu de la réserve communautaire de Junin. Le but : observer l’évolution du projet. « On est tous agriculteurs et ils souillent l’eau, la terre, le ciel. Ce sont toutes nos richesses », souligne Oswaldo.

Leonel, Fernando et Oswaldo, trois membres de la lutte (© Jérôme Decoster).
Leonel, Fernando et Oswaldo, trois membres de la lutte (© Jérôme Decoster).

Feu de campement et prise d’otages

Depuis une vingtaine d’années, la majorité du village s’organise contre les projets à répétition d’exploitation minière. A l’entrée de  Junín, un panneau annonce la couleur. « Ici on vit de l’agriculture, de l’élevage et de l’écotourisme. La mine dehors. » Un message que les habitants ne cessent de répéter depuis le 14 mai 1997, une date restée dans les annales, comme un jour d’indépendance. « On s’est tous réunis après avoir pris connaissance de l’étude environnementale réalisée par l’entreprise japonaise d’alors, explique Javier Ramirez, leader de la lutte et président de la communauté de Junin. Elle affirmait devoir contaminer les quatre communautés alentours. On est monté au campement de l’entreprise, on a évacué le matériel et brûlé les bâtiments. » Javier a le regard vif et le sourire aux lèvres quand il se rappelle les premières heures prometteuses de la lutte. La même année, l’entreprise japonaise quitte l’Intag.

Une maison du village : "Si les mineurs nous l'ordonnent, nous ne partirons pas du village car nous sommes d'ici et nous ne sommes pas fatigués de lutter. Vive les paysans, vive la lutte, vive Junín" (© Jérôme Decoster).
Une maison du village : « Si les mineurs nous l’ordonnent, nous ne partirons pas du village car nous sommes d’ici et nous ne sommes pas fatigués de lutter. Vive les paysans, vive la lutte, vive Junín » (© Jérôme Decoster).

Sept ans, plus tard, en 2004, c’est une entreprise canadienne, Ascendant Cooper, qui obtient une concession sur ce même terrain, a renfort de paramilitaires. La lutte se transforme en bataille. « Ils étaient très bien armés. Mais nous aussi. On a eu la chance de les surprendre pendant leur petit-déjeuner et ils n’ont pas pu s’opposer vraiment à nous. » Les militants prennent 57 d’entre eux en otage. « On les a enfermés dans l’église du village pendant cinq jours. On leur donnait juste le minimum de nourriture pour qu’ils survivent. » Le temps nécessaire pour gagner la bataille et obtenir un retrait de la concession de l’Etat à Ascendant Cooper. Pour la deuxième fois, le village de 280 âmes repousse une multinationale loin de ses terres.

Le gouvernement de Correa contre la lutte

En 2013, tout se complique. Enami, une entreprise publique équatorienne, s’associe avec la firme chilienne Codelco, premier producteur mondial de cuivre, pour reprendre le projet. Le gouvernement de Rafael Correa retourne sa veste. « Il avait promis qu’il ne toucherait pas à la réserve », déplore Javier, qui, comme beaucoup, avait voté pour Correa lors de sa première élection, en 2006. Le président du pays, renommé dans le monde pour sa constitution Montecristi sociale et écologiste, ne veut pas passer à côté de l’aubaine que pourrait représenter le cuivre, dont le cours mondial ne cesse d’augmenter.

William, responsable du service des eaux de la municipalité de Cotacachi, prend un échantillon de cuivre sur la roche (© Jérôme Decoster).
William, responsable du service des eaux de la municipalité de Cotacachi, prend un échantillon de cuivre sur la roche (© Jérôme Decoster).

La lutte ne surfe plus sur la vague de ses précédents succès. Devenue publique, la concession a désormais la loi de son côté. Fini les feux de campement. Javier Ramirez est envoyé en prison le 10 avril 2014 pour avoir agressé un fonctionnaire de police. « Au moment de la soi-disant agression, j’étais chez moi avec un médecin belge. Blessé à la jambe, j’étais incapable de marcher », clame-t-il encore aujourd’hui pour prouver son innocence. Sans aucune preuve, la justice équatorienne l’envoie 10 mois derrière les barreaux. La Résistance de la zone de l’Intag prend alors un sérieux coup derrière la tête. « Aujourd’hui, dans les communautés, les gens ont peur. Ils savent que l’on peut être envoyé en prison sans raison. »

Javier Ramirez, président de la communauté de Junín, a passé 10 mois en prison pour "sabotage contre l'Etat" (© Jérôme Decoster).
Javier Ramirez, président de la communauté de Junín, a passé 10 mois en prison pour « sabotage contre l’Etat » (© Jérôme Decoster).

« C’est devenu très politique, confirme Jomar Cevallos, maire de Cotacachi dont dépend Junin, qui soutient la lutte. La seule solution, c’est d’attendre les élections de 2017 et espérer qu’un nouveau président mette un terme au projet. A moins que la crise économique ne freine toute seule la poursuite du projet. »

« A la mine, je gagne beaucoup mieux ma vie »

A Chalguayacu alto, le village voisin situé en haut de la rivière du même nom, il y a deux terrains de volley, le sport national. Sur le premier, ne jouent que des membres de la Résistance. Le filet culmine à plus de 3 mètres de haut, comme pour s’entraîner à dépasser les obstacles les plus insurmontables. « Je n’aime pas parler à ceux qui soutiennent le projet, je m’énerve », soutient Marcia, fatiguée mais toujours membre active de la lutte.

Quelques centaines de mètres plus loin, le second terrain est davantage hétéroclite. Fabian, chef du village, est captivé par le match qu’il arbitre. Sa bonhommie permet de passer au-dessus des tensions avec ceux qui soutiennent le projet minier, comme Isauro. « Pour moi, la priorité est de nourrir ma famille et l’éducation de mes enfants, justifie cet ouvrier d’Enami. C’est de plus en plus dur en tant qu’agriculteur, les légumes se vendent de moins en moins cher. Avec mon nouveau travail, je gagne 670 dollars par moi, c’est un bien meilleur salaire. » Un argument compréhensible pour plusieurs membres de la lutte, mais qui n’efface pas les discordes au sein même des familles.

Olga a fini par chasser son fils de 19 ans de la maison à la suite de disputes devenues insoutenables. Pendant six mois, le jeune a travaillé comme ouvrier sur le projet, suivant l’exemple d’un oncle « ambitieux, qui ne pense qu’à l’argent », regrette cette femme. Olga a beau être opposée au projet, certains villageois de la lutte ne lui font plus confiance à cause d’informations qu’elle aurait divulgué à son fils sur les projets des résistants. Denis, le propriétaire de la maison mitoyenne au terrain de volley, se sent nostalgique : « Il y a 20 ans, il y avait plus de lien entre tout le monde. »

« On n’est pas des esclaves »

Avec de moins en moins de membres actifs et à court de solution efficace, le village plie sous les coups de l’exploitation minière, mais ne rompt pas. Depuis le retour de prison de Javier en février 2015, ils réalisent toutes les deux semaines un relevé de la qualité de l’eau à dix points différents de la réserve de  Junín.

A l'entrée du campement, les motos des ouvriers devant la montagne verdoyante (© Jérôme Decoster).
A l’entrée du campement, les motos des ouvriers devant la montagne verdoyante (© Jérôme Decoster).

Ce mardi de juillet 2016, le passage par le campement d’Enami tourne à la joute verbal. Les membres de la lutte, bien décidés à passer sans autorisation, sont stoppés dans leur avancée par un employé de l’entreprise minière. « Vous, vous ne nous avez pas demandé la permission quand vous êtes entrés sur le territoire de notre réserve », lance Javier. Fabian rit jaune. « On n’est pas des esclaves. On passe si on veut ! » Ils resteront deux heures dans la zone d’Enami pour faire un état des lieux et récolter la preuve que le projet pollue leur environnement. Sur l’un des points de contrôle, le pH est passé de 7,3 à 6,5 en un an. L’eau cristalline devient de plus en plus acide.

Depuis un an, les activistes anti-mine enregistrent la qualité de l'eau dans la réserve. Ils récoltent la preuve que le projet pollue l'environnement (© Jérôme Decoster).
Depuis un an, les activistes anti-mine enregistrent la qualité de l’eau dans la réserve. Ils récoltent la preuve que le projet pollue l’environnement (© Jérôme Decoster).

« Pour l’instant, on en est vraiment qu’à l’exploration, avance Dario, responsable de la communication du projet Llurimagua, qui travaille dans le bureau d’Enami situé sur les hauteurs de Junín. Les habitants crient au scandale alors que la mine n’existe pas pour encore ! » Le communicant ne nie pas les conséquences négatives potentielles sur l’environnement, « mais on essaie de limiter l’impact en utilisant un produit chimique biodégradable, en recyclant l’eau… » se défend-il. L’homme jure que l’entreprise ne coupe pas les plus gros arbres de la réserve. Pourtant sur le terrain, le déboisement est flagrant, et des énormes troncs saignent. Un détail pour Dario, qui estime que si la mine voit le jour, « les premiers bénéficiaires des revenus générés seront les villageois impactés par le projet ».

Javier n’y croit pas mais tente de rester positif. « Depuis deux ans, le projet ne semble pas avancer. Alors on peut toujours espérer qu’il n’aboutira pas. Sinon, il est prévu que la population de  Junín doive quitter le village pour aller vivre ailleurs. Dans ce cas, je pense que les habitants se remobiliseraient et que la Résistance repartirait de plus belle. »

En attendant, Enami avait promis aux villageois des compensations. Mais  Junín attend toujours l’école promise. D’ailleurs Javier compte beaucoup sur l’éducation. « On manque de compétences ici. J’espère qu’un de mes enfants fera des études d’avocat pour faire avancer la lutte. » Une lutte sans fin mais pas sans avenir.

Jérôme Decoster et Aurélie Bacheley

Retrouvez cet article dans la rubrique International du Huffington Post

2 réflexions sur “La mine de Junín : l’histoire d’une lutte sans fin

  1. J’espère que les habitants continueront à se battre si Javier doit partir où qu’ils seront récompensés un jour par un nouveau gouvernement sensible à leur cause.
    Vraiment super de pouvoir écrire des articles de cet qualité dénonçant des pratiques d’exploitation des hommes entre eux.

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