Chum Mey est l'un des 11 survivants du camp de la mort S-21 (© Jérôme Decoster).

Le mécanicien qui a survécu à la machine de mort des Khmers rouges

Chum Mey est l’un des derniers survivants du camp de la mort S-21 à pouvoir témoigner des atrocités du régime Khmer rouge. En prison, ses compétences de mécanicien lui ont permis d’échapper à la mort.

Le visage brun et les yeux rougis, Chum Mey fait face à quelques dizaines de visiteurs venus se confronter au lourd passé du Cambodge. Dans une salle de la prison de Tuol Sleng à Phnom Penh, ils attendent silencieusement que « le survivant » raconte son histoire. L’homme de 84 ans en parait 10 de moins et affiche un air serein. Il fait partie des onze détenus (sept adultes et quatre enfants) qui ont survécu au camp de détention et de torture S-21, nom de code donné à cet ancien lycée transformé en prison.

Chum Mey salue le public, les mains jointes touchant le bas de son visage souriant. L’émotion est palpable dans la petite pièce de la prison où l’octogénaire a passé les pires moments de son existence.

Entre 1975 et 1979, les méthodes de Pol Pot ont marqué au fer rouge l’esprit et le cœur d’une population qui a perdu un quart des siens. A S-21, environ 20 000 corps cadavériques ont été parqués entre les murs et fils barbelés de ce camp de la mort, l’un des 196 centres de tortures du régime des Khmers rouges. Chum Mey y a été incarcéré le 18 octobre 1978, à l’âge de 47 ans. Dans les salles à petits carreaux rouges, on imagine les flaques de sang et les coups encaissés par les détenus. Quarante ans après, des milliers de photos sur les murs montrent les visages creusés et hagards des victimes.

« J’ai été torturé pendant 12 jours »

Assis sur le sol dur, les mains sur les jambes et les yeux clignant fébrilement en direction de son traducteur, l’homme mime la position qu’il adoptait en cellule. « J’ai été torturé pendant 12 jours. » Chum Mey entoure son visage de ses mains, plie les genoux et crispe le visage. « Ils me frappaient au sol avec un bâton, alors je mettais mes mains devant mon visage pour me protéger. Tous mes doigts se sont brisés ». Puis il agite vigoureusement la tête. « Ils m’ont mis des électrochocs dans les oreilles, depuis je n’entends presque plus rien de la gauche. » Silence dans la salle.

Dans sa cellule d’un mètre sur deux, il est roué de coups au moindre mouvement. « La ferraille encerclant mes pieds faisait du bruit contre le sol. Les gardes croyaient que je voulais m’enfuir. » Comme de nombreuses victimes, il avoue, sous la douleur insoutenable, qu’il travaille pour le compte de la CIA. Une organisation dont il n’avait jamais entendu parler avant son arrestation.

Son travail le sauve

En 1975, Chum Mey avait vu son fils de deux ans mourir suite à une forte fièvre sur la route de l’exode vers les campagnes. Plus tard, sa femme et leurs trois autres enfants succombaient également au régime de terreur et de privation. En prison, il a vu 18 détenus se rendre vers un terrain d’exécution près de Phnom Penh. Sur le terrain macabre où les papillons s’envolent avec insolence, un mémorial expose aujourd’hui les crânes et autres ossements des victimes.

Lui aussi croyait mourir à la suite d’une de ces interminables séances de torture. Mais à l’inverse de la plupart des victimes considérées uniquement comme des espionnes de la nation à abattre, Chum Mey s’est avéré utile aux Khmers rouges en sa qualité de mécanicien. « On m’a mis au travail pour réparer les machines à écrire qu’utilisaient les bourreaux pour enregistrer les aveux forcés », détaille l’homme. Une manière de gagner quelques heures de survie.

Chum Mey se rappelle qu’en dehors de ce « privilège » personne n’était épargné. « Les Khmers rouges n’avaient aucune pitié. Je n’en ai jamais vu un aider une victime ». Son regard est pourtant dénué de rage. Aujourd’hui il s’échine à pardonner, refusant de jouer au justicier. « A S-21, les exécutants devaient suivre les ordres des décisionnaires. Je les considère comme moi. Aurais-je eu la force de refuser de tuer si la pénalité avait été ma propre mort ? »

A partir de 2007, un tribunal spécial s’est ouvert pour juger cinq hauts commanditaires du régime pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide à l’encontre des minorités vietnamienne et musulmane cham. Le responsable du centre S-21, « Douch », a été condamné à la perpétuité en 2010. Khieu Samphan, ancien président du Kampuchea démocratique, et Nuon Chea, l’idéologue du régime ont récemment fait appel du même verdict. Mais d’autres ne seront jamais jugés. Ieng Sary, ancien vice-premier ministre chargé des affaires étrangères, est mort, ainsi que sa femme Ieng Thirith, qui fut ministre des affaires sociales et avait été déclarée, en décembre 2011, inapte à passer en jugement en raison de troubles neurologiques.

« Je regrette qu’ils n’aient pas été condamnés », avoue calmement l’octogénaire. S’il n’a pas de rancœur envers ses bourreaux, il ne pardonnera jamais les décisionnaires.

Aurélie Bacheley

2 réflexions sur “Le mécanicien qui a survécu à la machine de mort des Khmers rouges

  1. impressionnant! comment fait-il pour sourire ?
    bravo à toi, à vous, de parler de lui et de nous rendre accessible ce parcours de vie qui est vraiment fait pour circuler par delà le monde.
    Sophie

  2. CHUM mey s’est photographié avec moi a Phnom pehn toujours avec ce sourire serein qu’il garde fige sur son visage malgré tous les malheurs qu’il a enduré . C’est un exemple a prendre . Bravo.

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